Le manchon de Sylvie Vartan le jour de son mariage (au temps où on ne croyait pas obligatoire de sourire)

 

 

 

Le manchon de cette robe de mariée m'a tellement fait rêver. Ce n'était pourtant pas un mariage en plein hiver mais un mariage en avril. C'était si joli, si russe, elle était si jolie avec cette capeline, ses bras fins, cette idée encore toute fraîche du mariage. Il n'y a pas longtemps j'ai vu cette photo en couleurs. Impossible. Elle est à jamais en noir et blanc. Lui noir, elle blanche. Leurs deux jolis nez. Chacun qui ne regarde pas l'autre. Ce qu'on ne sait pas qu'ils regardent et eux non plus. Et surtout cette chose impensable aujourd'hui: ils ne sourient pas, ils ne regardent pas le, les, photographes, ils n'ont pas ce sourire affreux car forcé d'aujourd'hui, ils ont de la gravité, ou plutôt c'est beau: ils sont absents de leurs corps, perdus, dépassés. J'aime beaucoup leur fragilité.

 

                                               

                                                                                                         

C'était un temps sans arrogance.

La couverture du Match de l'époque, le choix de cette photo:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bon anniversaire ma grosse mémère !

 

tout à l'heure

 

C'est aujourd'hui et je n'ai jamais été aussi heureuse que ça soit mon anniversaire. J'ai 59 ans, je ne suis plus tout à fait dans tout l'éclat de ma jeunesse, mais je suis moins dans tout l'éclat de ma connerie. Si, si! Par exemple, la preuve: j'ai 59 ans et voilà: ça ne me fait pas honte. Les filles au boulot: "Bon anniversaire! Mais tu les fais pas". Comme si ça serait un crime de les faire! Et en plus je les fais! Et comme j'ai grossi, en plus maintenant, en plus du cou en éventail, j'ai des joues de hamster. Regardez, on voit très bien sur la photo! Mais lundi je me mets au régime. Même si c'est ridicule d'être au régime l'hiver je suis bien d'accord. Voilà je suis heureuse parce que je suis là, je suis vivante, et j'ai le sentiment que je peux mourir, c'est reposant. J'ai gagné tout le temps ma vie depuis que j'ai 20 ans, j'ai fait beaucoup de boulots différents, j'ai été deux ans dans un parti politique, dix ans dans un syndicat, j'ai suivi des études dans deux facs différentes, je me suis allongée cinq ans sur un divan, j'ai voulu mourir deux cent fois -ça aurait été très bête-, j'ai été amoureuse mille fois, je me suis drôlement calmée, j'ai été aimée, je me sens aimée, j'ai bien pleuré, j'ai bien ri, je vis avec un chat moi qui n'aimais pas les chats, je suis contente d'être retournée au salariat, je suis contente de ma petite vie confortable, égoiste, et tenue dans la main de Dieu, qui n'a pas que ça à faire. Alors merci beaucoup à tous pour vos souhaits d'anniversaire, c'est adorable, et moi je me dis aussi à moi-même: bon anniversaire ma grosse mémère!

 

La journée

Matisse

 

 

A. est restée coincée une heure et demi sur le périph Porte de la Chapelle là où deux connards ivres ont tués deux flics de la BAC. Je l'attendais avec un café. Quand elle est arrivée, il était froid comme les flics. Avant j'étais passée au Virgin de Saint-Lazare, il était 8h 12 chercher les 3 tomes en poche de Murakami que mon beau-frère veut pour son anniversaire. Moi plutôt mourir que lire ça. Il n'y avait personne, à 8h14 j'en sortais avec les trois livres. Il faisait beaucoup plus froid que je croyais. Les flics ont été tués à 6 heures. Le métro a bien roulé. B. me sourit maintenant à la photocopieuse avec un air complice. Ce matin elle avait mis un joli mauve sur ses paupières, elle qui ne se farde jamais. C. a ouvert la porte de son bureau comme tous les jours à dix heures moins vingt et il est passé partout serrer les mains. Sait-il que ça exaspère tout le monde? D. m'a raconté ce qui s'est passé hier. E. m'a dit: " ça y est, j'ai signé mon CDI" et j'étais contente pour elle. F. n'ose plus entrer dans mon bureau mais dans l'après-midi m'a quand même demandé quelque chose à propos des sites classés Seveso. G. a dit qu'elle ne serait pas là demain. Elle va voir sa soeur qui souffre affreusement depuis deux ans d'un cancer et vit sous morphine. Je n'ai pas trouvé de pralines au Carrefour. H. est resté 20 minutes coincé dans l'ascenseur. Après il a dit " Vous n' aimeriez pas rester coincées avec moi dans l'ascenseur?". On est beaucoup à penser que I. sera le nouveau directeur. Il ne met plus des polos mais des chemises sombres à manches longues. J. m'a dit en partant "Bonne soirée, à demain". K. aussi. L. aussi. Puis j'ai mis mon manteau, j'ai pris mes sacs et je suis partie en priant pour que l'ascenseur ne se coince pas et qu'il ne fasse pas trop froid. Dans le métro Louise m'a envoyé un texto pour me demander pourquoi il ne restait pas de pain de mie à la maison.