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02/11/2012

Emile Friant

Emile Friant - The Frugal Repast.jpg

Le repas frugal. Emile Friant

 

"Nickel chrome!"

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Mon banquier et moi. Emile Friant (peint ce matin, la couleur des arbres fait foi)

 

Le RV est à 10 heures. J'y vais pour qu'il me prête de l'argent. J'ai son accord de principe. La semaine dernière il m'a dit "je vous fais une petite simulation" (ça me fait toujours glousser intérieurement) et ensuite il a dit "ya pas de souci". Donc me voici. Il pleut. Je rentre dans l'agence. Et bien que je le connaisse depuis des années -nous nous sommes faits les pires misères, enfin surtout lui - je n'y entre pas sans cette impression de culpabilité qui me met le coeur au bord des lèvres, enfin bon certains d'entre vous savent, que les autres soient bénis! En fait je suis en avance car il pleut et j'ai froid. Je sais qu'il y a une chaise, j'attendrai dessus. (Assise, dessus, pas debout. Profil bas). Dans mon agence il y a une seule chaise. Dans celle de l'autre côté du trottoir, et la rue est étroite, d'une autre banque, il y en a plusieurs et qui font style fauteuil. Avec des plantes vertes. Et une atmosphère horrible. Mais dans mon agence c'est plus simple. Il y a un guichet. Une chaise. Le bureau du directeur. Et le bureau du sous-directeur. Des fois maintenant  il est au guichet (le directeur). A cause de la crise. Dans ma vie j'aurai vu ça aussi: les effectifs des agences bancaires diminuer, diminuer, diminuer (un peu comme mon revenu. )Bon ce matin il n'est pas au guichet. Au guichet d'habitude il y a de très jeunes et jolies filles qui changent tous les six mois et un peu cruchettes. Mais là aujourd'hui, c'est une dame entre deux âges, habillée assez pauvrement, comment dire? normale. Elle me dit bonjour d'un air normal et pas d'un air méprisant comme les cruchettes (les cruchettes pensent qu'on mesure leur professionalisme à l'intensité de leur air méprisant; alors elles se concentrent, elles essaient d'avoir l'air le plus méprisant possible, le plus scolairement méprisant possible et elles ont 20/20 en air méprisant). Je dis: "J'ai RV avec Monsieur Pouet Pouet à dix heures, je suis en avance (20 minutes), je peux m'asseoir sur la chaise?" Elle répond oui sans fioritures, sans "mais je vous en prie" hautain, sans "c'est à quel sujet?", sans "je vais le prévenir", sans sussurer en criant (la cruchette banquière ssussure en criant oui oui)"Monsieur Pouet Pouet votre rendez-vous est là".

Son rendez-vous s'asseoit. Fin de l'acte I. Le rendez-vous (arrêtez de pas comprendre, c'est moi!) déplie "le journal bourgeois" (c'est comme ça qu'on appelait Le Monde quand j'étais jeune). La chaise est rouge. Saint Kerviel priez pour moi. Et alors là, stupéfaction Monsieur Pouet Pouet est devant moi. Prêt à me recevoir en avance. Ben ça....

Acte II: est-ce que vous ai dit qu'il ressemble à un sanglier? Il ressemble à un sanglier. Il sourit. Son bon sourire. De sanglier. Me voilà dans son bureau (en même temps c'est pas un long trajet, la chaise rouge est quasi devant sa porte. un peu plus elle était devant la porte des toilettes. Aucun standing cette banque !). Et alors i'm dit, et alors j'lui dis, et alors i'm dit: "Vous avez apporté les documents?"

Moi: les documents ? (sur le ton de "ciel mon mari")

Lui: madame Kon Kon, (c'est moi. Faut que vous compreniez que je ne suis plus son "rendez-vous" puisque je suis dans son bureau. Ah je reconnais ce sont des billets assez difficiles à lire que j'écris. Et pas des billets de banque; hi hi. Bref),madame Kon Kon, je vous avais dit de venir avec votre avis d'imposition.

(Le menteur! il me l'a pas dit. M'enfin j'aurais pu m'en douter. Mais je ne suis pas madame Kon Kon pour rien. et je savais bien que j'étais en faute). Il me regarde sévèrement. je dis "J'ai ma carte d'identité". Lui "ah oui madame Kon Kon mais ce n'est pas votre avis d'imposition", il ricane. Il pense "On a quand même affaire dans ce métier à de sacrées Konnes-Konnes") Je dis "Bon je vais retourner le chercher". Mais lui "C'est que vous n'avez pas d'autre rendez-vous..." Ah en effet. Fâcheux. Je suggère en prenant l'air le moins insolent possible -le sanglier n'aime pas l'insolence et se nourrit de glands: "et euh peut-être pourriez-vous  m'en donner un pour cet après-midi?" Lui "Ah c'est que ça va pas être possible madame Kon Kon". Je laisse un léger silence s'installer. Je sais que dans 1 minute il va faussement sursauter et me dire "Ah attendez si, j'ai 16 heures, ça vous irait?". Bingo, il me dit: "Ah j'ai midi, ça vous irait?" Je réponds avec l'enthousiasme que j'ai eu quand avant-hier j'ai gagné 10 euros en achetant un goal: "Vous êtes un ange monsieur Pouet Pouet".

On n'en fait jamais trop. Et nous nous re-serrons la main.

Je lance avec gaité à la dame au guichet" Je reviens à midi, il me manquait des papiers" et elle dit gentiment "oh zut, alors à tout à l'heure" alors qu'une cruchette m'aurait donné envie de mourir avec son regard qui aurait dit "pauvre patate, incapable, t'as mis trop de mascara sur ton oeil droit" (les cruchettes ont une science inouie du maquillage et jamais de ballerines éculées, elles sont de la race des femmes qui ont les pieds au chaud- j'ai une théorie là-dessus. Je vous l'épargne. Comme la caisse)

 

Acte quoi déjà? Ah oui, acte III. Je suis à la maison, je cherche l'avis d'imposition , les 3 derniers bulletins de salaire, le justificatif de domicile -mais faut pas que ça soit une quittance de loyer ça serait trop facile, pas du jeu- et ma carte de groupe sanguin. Non là j'exagère. Pour le groupe sanguin. Je trouve tout ça car je suis une femme dont le  sens de l'organisation fait l'admiration de tous ses proches (dont la rapidité pour trouver mes clés dans mon sac; les hommes me quittent à cause de ça. Ouais comme vous dites, chacun sa croix)

Acte IV: je ronge mon frein en attendant de repartir à l'agence. Le temps me tarde!

Acte V: je suis dans le bureau du sanglier, je dépose tous mes papiers sur son bureau, on dirait que je fais une réussite. Il est silencieux. Je n'aime pas quand il ne dit pas de conneries, ça me désarçonne. Mais j'ai mûri. J'ai beaucoup appris. Avant, pour meubler le silence, le silence d'un bureau de banquier à qui on demande un prêt c'est vertigineux-, je faisais des petites blagues, je racontais ma vie, je le questionnais sur son boulot. Il n'y avait plus de silence mais je le saôulais. Maintenant je suis forte, je supporte le silence. Il est plongé dans son écran d'ordi. Je crois qu'il fait encore des petites simulations (ou alors il joue à la bataille navale ou il est sur meetic). J'attends. Je pense à la mort de Louis XVI.

Acte VI:  au bout de...dix minutes? il me re-demande l'adresse de mon employeur- qui est sûrement indiquée sur son écran-, la mienne -idem- ,mon salaire -il vient de photocopier mes bulletins de paie, mais soit !-  mon loyer, et dans cinq secondes ma parole il va me demander comment s'appelle ma banque! 

Quand soudain il s'exclame  "Nickel chrome!"

Mais je ne suis pas née de la dernière pluie. Ne donner aucun signe de joie. En effet il aime bien dire "Nickel chrome " avec allant et si je bouge une oreille grommeller ensuite "ah mais ya un p'tit problème madame Kon Kon, ça va pas passer, ah je suis désolé, vous savez comme je vous ai toujours volée aidée, mais on ne peut pas accorder de prêt aux sophie cette année, c'est pas nous c'est le siège, j'ai des instructions, et d'ailleurs vous allez aller en prison". Alors je ne moufte pas. J'attends. C'est moi Estragon.

Acte VII: putain, il imprime! Alors là, je vais vous dire, c'est bon signe. il imprime à tour de bras. Oui il imprime le contrat, l'assurance, tout le bazar. Je crois que c'est bon. Mais je reste immobile. Prudence. Bruit de l'imprimante dans le silence bancaire.

Acte VIII: il agrafe ! Il agrafe ! madre de dios, il agrafe! (= le million! le million!)

Acte IX: je signe (je me sens comme le traité d'Utrecht) Je signe avec le stylo bleu et doré du sanglier. C'est l'heure que je dise bientôt quelque chose d'aimable.

Acte X: tout est signé. Je suis restée impassible mais là avec exultation je dis "Oh monsieur Pouet Pouet vous êtes a-do-rable". Il sourit  (sourire de sanglier) et dit "C'est normal, c'est mon travail madame Kon Kon" (Je crois qu'il a peur que je l'invite à dîner)Je lui serre encore la main. Je dis "Et les sous je les aurai quand?" (Il y a toujours un moment où je gâche tout, vous avez remarqué? j'aurais pu dire: comment se passe le process? Dans dix jours...?" et je dis "les sous"!)

Mais c'est pour ça qu'il m'aime. Et avec ce truc chez lui dans l'oeil entre indulgence et férocité: "Allez, au plaisir madame Kon Kon!"

Je prends le bus. Il y a plein de feuilles d'arbres magnifiques mouillées par terre. Je pense aux morts sous la terre. Et je pense au sanglier qui sera mort comme je le serai. Et que je l'aime bien, tiens.

 

 

Allez voir absolument l'os d'Henriette (le titre, le texte, la photo, tout...)

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C'est là chez Henriette , et c'est peu de dire que j'aime énormément. Donc je redis c'est une photo faite par elle hein. Elle a du génie.