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14/05/2013

Pff, on va se retrouver à 5 à discuter de Proust, comme des cons, elle a dit.

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Vous êtes au courant de ce truc? La ministre de l'enseignement supérieur qui défend l'anglais comme langue commune à l'université? Voilà la réponse de Antoine-mon chéri barbant que j'aime- Compagnon:

"Un amour de Mme Fioraso

Par ANTOINE COMPAGNON
Professeur au Collège de France et à l’université Columbia de New York, historien de la littérature.
 
Le projet de loi Fioraso sur les universités, présenté en Conseil des ministres le 20 mars, libère l’emploi des langues étrangères - de fait l’anglais - dans les cours, examens, mémoires et thèses. Cela se faisait déjà à Sciences-Po, désormais le modèle des modèles, et, sans trop le dire, de plus en plus ailleurs.

Je ne comptais pas intervenir dans le débat, conscient que mes amis scientifiques se sont convertis, bon gré mal gré, à l’anglais pour survivre : diffuser leur recherche, publier dans les revues internationales, répondre aux appels d’offres européens et même français, l’Agence nationale de la recherche (ANR) requérant, à juste raison, que les projets soient évalués par des experts étrangers. L’anglais est la langue de l’académie globale, de l’économie mondiale de la connaissance, et la France reste plutôt à la traîne, comparée à ses voisins d’Europe du Nord, d’Allemagne ou d’Italie.

Cette évolution a parfois des côtés cocasses, comme quand un collège américain envoie ses étudiants à Berlin pour apprendre l’allemand : ceux-ci découvrent sur place que les cours ne se donnent plus dans la langue de Goethe mais dans celle de Shakespeare, ou plutôt dans le globish des aéroports, et ils reviennent sans avoir amélioré leur allemand et en ayant détérioré leur belle langue natale.

Tant que nous pourrons parler français en France, me disais-je, je me ferai une raison. Or j’ai pris la déclaration de la ministre de l’Enseignement supérieur, rapportée dans Libération le 20 mars, comme un affront : «Si nous n’autorisons pas les cours en anglais, aurait-elle dit, nous n’attirerons pas les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table, même si j’aime Proust…» Après la fatwa de l’ancien président de la République contre la Princesse de Clèves, on n’imaginait pas pareille avanie, car la concession finale n’arrange pas le cas de Mme Fioraso.

Ignore-t-elle donc la contribution de Proust - et de la littérature en général - au rayonnement de la France, dont il est l’un des produits d’appel les plus payants ? Elle parle de la Corée du Sud, que je ne placerais pas - avec Samsung, Hyundai et LG - parmi les pays émergents. Deux traductions nouvelles de la Recherche du temps perdu y sont en cours de publication ; d’excellentes thèses sur Proust sont soutenues en Sorbonne par des étudiants et étudiantes coréens, lesquels occupent ensuite des postes dans des universités qui n’ont rien à nous envier.

Que Mme Fioraso se renseigne et se rassure ! A Séoul et ailleurs, Proust - il n’est pas le seul - est un puissant article d’exportation de la culture et de l’industrie françaises, et nous ne sommes pas près de nous retrouver à cinq ou six autour d’une table pour conspirer autour de lui. New York célèbre le centenaire de Du côté de chez Swann avec une exposition à la Morgan Library (jusqu’à la fin avril) : les manuscrits et autres documents prêtés par la Bibliothèque nationale de France attirent un public nombreux ; les événements qui accompagnent l’exposition se tiennent à guichet fermé.

Je sais, les Etats-Unis ne sont pas non plus un pays émergent, mais quel mépris pour les uns et les autres que de leur refuser Proust en français, qui vaut ici pour toute la culture et la littérature ! Et quelle méprise sur ce qui fait l’attrait de la France ! Voici un message reçu à la suite d’un bug (ou bogue) informatique du Collège de France, où mon cours sur Proust est accessible en français et en anglais : «Je vous écris depuis la Colombie, en Amérique du Sud. Auriez-vous l’obligeance de me communiquer comment puis-je faire pour entendre le cours du 22 janvier car, lorsque je l’ouvre, j’ai une fâcheuse traduction en anglais, langue que j’ignore. Comment se procurer la version originale, en français, de cette conférence ?»

Le pronostic de Mme Fioraso est encore pire : si nous ne passons pas à l’anglais, prétend-elle, c’est en France même, en province et à Paris, que bientôt nous ne serons plus que quatre ou cinq autour d’un guéridon pour causer de Proust. Je l’invite à franchir les quelque deux ou trois cents mètres qui séparent son bunker ministériel des amphis du Quartier latin pour découvrir le monde réel.

Ma religion n’était pas faite ; maintenant elle l’est. Offrons des cours en d’autres langues que le français aux étudiants étrangers qui arrivent en France, venus des pays émergents comme des autres, le temps qu’ils s’accoutument, comme ces élèves chinois des classes prépas de Louis-le-Grand qui se débrouillent parfaitement en français une fois à Polytechnique. Mais l’usage de la langue nationale doit être maintenu dans les cours, examens et thèses, notamment sur Proust.

En anglais, on parle de friendly fire pour désigner le genre d’action que vient de mener la ministre. Car Mme Fioraso nous tire dans le dos alors que nous montons au front. Qu’est-ce que ça serait si elle n’aimait pas Proust ! Comme ils disent : «With friends like these, who needs enemies ?»"

 

13/05/2013

Le bleu irisique du lundi 13 mai

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Ce matin, un chat que je ne nommerai pas, excité par le chant des oiseaux, veut absolument à 4 heures et demi, aller sur le balcon écouter, dans la nuit qui finit, les oiseaux se réveiller. Je n'aime pas la nuit, alors, comme ce chat, moi aussi j'aime  la nuit qui finit. Un verre d'eau. L'iris qui était en bouton la veille s'est ouvert dans la nuit. La pensée que tout à l'heure c'est, après deux semaines de vacances, le retour au boulot, le retour au métro. La tentation de rester debout. La raison qui dit de se recoucher pour une heure et demi. La sonnerie du réveil à 6 heures. La sensation première: être vivante. La pensée première: où sont les enfants? quel âge ont les enfants? La cuisine: donc ce n'était pas un rêve, l'iris s'est ouvert dans la nuit. Le bleu de l'iris est unique. La force de l'iris dans la cuisine. Le "hello bonjour" de l'iris "c'est lundi". Le froid du frigo, le lait dedans, le lait bout et il fait grand jour. Et il fait gris. Il avait fait gris comme ça tout le mois de mai quand j'avais 17 ans. Pendant que le bol de chocolat chaud refroidit je vide le lave-linge, j'adore ça. Pourquoi j'adore autant, sortir le linge lavé d'un lave-linge? Surtout en sachant qu'ensuite je vais boire un chocolat chaud tiède. L'iris est là, immobile, élégant, vivant. Tout le monde est vivant. Louise m'a prêté son beau sac bleu. Je pars à la gare. A cette heure là je ne croise jamais personne sauf les gars des poubelles. Nous nous saluons tous les matins. Il y en a un très beau, petit, avec une moustache et des yeux comme du chocolat chaud.Il crachinotte. Dans le train je lis Libération, je le referme, il m'ennuie, seul le dessin de Willem me fait rire (un Cahuzac qui redescend sur terre au marché de Villeneuve sur Lot, comme un Christ en majesté,avec un pagne en billets de banque). Au boulot G. m'embrasse. (C'est qui "G"? Hein, c'est qui?) On me raconte: le chef a disparu. Quoi? Le chef a disparu? On me demande où je suis partie en vacances. Je dis "chez moi".Tout le monde s'accorde à dire: "C'est bien ce qu'il y a de plus reposant", pour être aimable. Une collègue dit qu'elle est allée à Lisbonne "mais sans les enfants, ils sont trop jeunes, ils pourraient pas en profiter".Enprofiter, elle dit ce mot. On travaille jusqu'à midi treize. On part à la cantine où il y a des salsifis. Je m'ennuie. Après au Carrefour en face, j'achète des bricoles. A la caisse, une femme d'un certain âge, mais plus jeune que moi. une autre caissière arrive et lui demande à quelle heure elle finit: "19h tous les soirs mais 22h samedi". "Ma" caissière s'exclame "Ah! moi aussi samedi à 22 heures". Celle qui est venue deux secondes debout à côté d'elle rit et dit "Ah ben on sera au moins deux vieilles". Elle se tourne vers moi: "Le samedi soir c'est toujours des étudiants. L'autre samedi je me suis retournée, c'était que des jeunes, j'étais la seule vieille". Elles rient toutes les deux avec gentillesse. La deuxième dit à la mienne "Je suis contente. Alors samedi on sera toutes les deux, tant mieux". Elles sont magnifiques. Instant de solidarité prolétaire. Plus belle chose de la journée avec l'iris. Je retourne travailler. Je sors à cinq heures 20. Dans le métro des cris soudain, des beuglements. Une foule de types habillés en PSG envahissent le quai, essaient de monter dans les rames quand les portes se referment, bloquent le démarrage, crient, font un boucan du diable, avec des drapeaux et l'envie d'en découdre. On dirait des buffles dans un western qui piétinent la barrière du champ. Dans le train ensuite une femme parle très fort dans son téléphone. Sur le chemin entre la gare et la maison je cueille une petite branche de lilas, deux petites gueules de loup rose foncé, une grappe de glycine. Je redescends chez le médecin où j'ai RV à 19h30. Il me dit que lui aussi il a été en vacances et qu'il a "cassé du bois", que lui aussi il est resté chez lui mais qu'il a cassé du bois. Je remonte à la maison. Je fais chauffer une boîte de petits pois en regardant l'iris comme si c'était le plus bel amour du monde. On dîne. Je dis que j'aimerais bien regarder "Two lovers" à la télévision. A cause du titre. Mais c'est nul, doublage nul, c'est tout obscur, j'y vois rien et ça ne m'intéresse pas. La télé est fermée. Un thé. L'iris. Le 13 mai est bientôt fini et peut-être que cette nuit l'iris va se faner.

 

Deux chats de Matisse s'appelaient Minouche et Coussi

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