19/05/2013
Je ne savais pas que Verlaine avait pris comme nom: "le pauvre Lelian", son anagramme
Un texte paru dans le n° 2 de la revue" L'impossible" créée par Michel Butel:
"Vers 1880, Verlaine, voulant sans doute s’accrocher à l’ordre du monde depuis son désordre intime, rédige un pamphlet hâtif et maladroit, Voyage en France par un Français. Avec le zèle du néophyte, le vieux communard, défend l’Église et la monarchie contre l’abomination contemporaine, la « démocratie de l’envie » qui nous gouverne et l’ignoble 1789. Écrit sur du mauvais papier de collégien, dix années durant Verlaine tentera en vain de lui trouver un éditeur.
En juillet 1891, ne pouvant régler son loyer, fort d’un ancien prestige dont il ne jouissait plus, il persuade l’hôtelier d’accepter son manuscrit pour 200 francs, montant de son arriéré. Une feuille timbrée qui a été conservée enregistra le contrat. Mais pas plus que l’auteur, le propriétaire ne réussit à négocier avec profit l’édition du volume. Plus tard, un collectionneur, M. Delzant, ayant eu vent de l’affaire, le lui acheta et rangea le cahier parmi ses trouvailles. Son beau-fils, Louis Loviot, allait le publier en 1907. C’est l’édition que j’ai lue. Une fois dissipé le malaise attristé que suscite la lecture de l’ouvrage, on découvre souvent au détour d’une page de beaux éclats et de sombres pertinences. S’adressant à son fils en âge d’être soldat, mais dont il a été privé naguère et qu’il n’a pas revu ni ne reverra, il joue au père qu’il n’est plus ou qu’il ne fut jamais et le met en garde contre les mœurs dégénérées de l’armée, les blasphèmes, les jurons qu’il entendra parmi ces « tristes loustics d’impiété », il parle alors « … de l’enchifrènement du major gras d’absinthe, à la crécelle du Saint-Cyrien frais pondu … » Le dernier chapitre est consacré aux « romanciers actuels et la religion ». Seuls Barbey d’Aurevilly (qu’il avait éreinté naguère) et Paul Féval, « maîtres incontestables », méritent un « ardent hommage », aussi s’en prend-il à Zola, Vallès, Goncourt, Daudet et à Flaubert enfin « dont l’omnipotente influence opprime plus ou moins tous ces auteurs ». Il attaque Madame Bovary, Bouvard et Pécuchet, et ajoute : « Je ne parlerai pas de Salammbô,
très belle chose horriblement triste et furieusement opaque, en dépit de tous les ambres, jaspes, opales et jades là-dedans traversés, pénétrés, liquéfiés ou brûlés par la Lune ésotérique qui fait toute la mystique de ce poème cruel. »
Dans l’un de ses nombreux livres de souvenirs, Léon Daudet, dont aujourd’hui l’antisémitisme militant rend parfois malodorant le remarquable talent de portraitiste et de polygraphe acide, rapporte l’anecdote suivante : comme il descendait avec Barrès le grand escalier du Figaro dont ils étaient alors les jeunes promesses, ils aperçoivent à la caisse Verlaine qui « avec sa bobine de satyre retraité, venait palper ses pépettes pas bien nombreuses. Naturellement, il était saoul et, levant en l’air un gros doigt sale, il répétait d’un air indescriptible "nonobstant… pourtant" ». Il rappelle alors que Barrès, lui-même et quelques autres lui faisaient une petite pension au nom de l’estime qu’ils lui avaient un jour portée. Les deux hérauts à succès du nationalisme passent devant le poète sans même le saluer et poursuivent leur chemin commentant les méfaits de l’alcoolisme en général et sur cet « ilote ivre » en particulier. On aurait aimé que les deux écrivains satisfaits, « jeunes hommes modernes », plient un genou en passant devant Verlaine qui allait mourir quelques mois plus tard. D’autant que le montant des « pépettes », pour reprendre l’élégante expression de Léon, ne permettait même pas à Verlaine de payer un pauvre loyer qu’il préférait boire. Par ailleurs, les donateurs ne s’étaient pas privés de faire connaître au Tout-Paris, discrètement comme il se doit, cette générosité qu’ils prétendaient taire, afin sans doute de tirer quelque secret profit anthume ou posthume qu’ils ne manqueraient pas d’encaisser. Mais ce geste de Léon Daudet honore toutefois sa figure négligée, au même titre que le prix Goncourt qu’il réussit à faire attribuer à Proust pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs malgré de vives oppositions, si tant est que l’attribution d’un prix littéraire entretienne une quelconque relation avec l’honneur. Mais n’est-ce pas la joie naïve de Proust primé que l’on peut saluer en cette ancienne occasion ?
Longtemps je suis resté rêveur quant au poids et au sens que Verlaine avait pu attribuer en une telle circonstance à ces deux mots que je gardais en moi jusqu’au soir après les avoir lus, convaincu qu’ils portaient un secret dans leur tristesse. Je constatais juste qu’ils rimaient. À force de me hanter avec sa figure triste et son allure désolée, ce « nonobstant… pourtant » finit le lendemain par se confondre dans mon esprit avec deux autres adverbes liés sur une page que je venais de relire à cause de Verlaine et dont je me souvenais car ils m’avaient toujours frappé : ces « peut-être… cependant » notés par Nerval à propos du bonheur dans le dernier feuillet de Sylvie. C’est juste avant qu’il apprenne la mort d’Adrienne dont la beauté l’avait bouleversé et qui était du sang des Valois.
« J’interroge le silence et l’erreur, j’interroge la fatalité de la marche, le pêle-mêle du malheur. » (Pierre Reverdy)
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1871: Les prussiens en France, Victor Hugo à l'Assemblée, Verlaine qui a soutenu la Commune rencontre Rimbaud en septembre, Proust est né en juillet, la Commune est finie
Les soldats prussiens à Strasbourg en 1871
le 18 janvier 1871 Guillaume 1er proclame l'empire allemand dans la galerie des glaces à Versailles (c'est un tableau d'Anton Von Verner)
Le 1er mars 1871 les Prussiens défilent à Paris en deuil, les statues sont voilées de noir, Victor Hugo intervient à l'Assemblée:
Victor Hugo
Discours à l'Assemblée nationale (1848-1871)
Séance du 1er mars 1871
[...]
M. le président. La parole est à M. Victor Hugo. (Mouvement d'attention.) M. Victor Hugo. L'empire a commis deux parricides : le meurtre de la République en 1851, le meurtre de la France en 1871. Pendant dix-neuf ans, nous avons subi, — pas en silence... Plusieurs voix. Plus haut ! On n'entend pas ! M. Victor Hugo. Je prie l'Assemblée de me permettre de lui faire observer que si ma voix est faible, ce n'est pas ma faute. Si elle peut m'accorder un peu d'attention, je lui en serai reconnaissant. (Parlez ! Parlez !) Pendant dix-neuf ans, nous avons dû subir — pas en silence — l'éloge officiel et public de l'affreux régime tombé ; mais, au milieu des douleurs de cette discussion poignante, une stupeur nous était réservée, c'était d'entendre ici, devant cette Assemblée, bégayer la défense de l'empire, devant le corps agonisant de la France assassinée. (Mouvement.) Je ne prolongerai pas cet incident, qui est clos, et je me borne à constater l'unanimité de l'Assemblée... Quelques voix. Moins cinq ! M. Victor Hugo. Messieurs, Paris en ce moment est sous le canon prussien; rien n'est terminé, et Paris attend. Et nous ses représentants, qui avons pendant cinq mois vécu de la même vie que lui, nous avons le devoir de vous apporter sa pensée. Paris, depuis cinq mois, Paris combattant fait l'étonnement du monde ; Paris, en cinq mois de République, a conquis plus d'honneur qu'il n'en avait perdu en dix-neuf ans d'empire. (Bravo ! bravo !) Ces cinq mois de République ont été cinq mois d'héroïsme. Paris a fait face à toute l'Allemagne; une ville a tenu en échec une invasion, dix peuples coalisés. Ce flot des hommes du Nord, qui, plusieurs fois déjà, a submergé la civilisation, Paris a combattu cela : 300 000 pères de famille se sont improvisés soldats. Ce grand peuple parisien a créé des bataiIlons, fondu des canons, élevé des barricades, creusé des mines, multiplié ses forteresses, garde son rempart et il a eu faim, et il a eu froid ; et de même qu'il a eu tous les courages, il a eu toutes les souffrances. Les énumérer n'est pas inutile, l'histoire écoute. Plus de bois, plus de charbon, plus de gaz, plus de feu, plus de pain ! Un hiver horrible, la Seine charriant 15 degrés de glace ; la famine, le typhus, les épidémies, la dévastation, la mitraille, le bombardement. Paris, à l'heure qu'il est, est cloué sur sa croix et saigne aux quatre membres. Eh bien, cette ville, qu'aucune n'égale dans l'histoire, cette ville majestueuse comme Rome et stoïque comme Sparte, cette ville, que les Prussiens peuvent souiller, mais qu'ils n'ont pas prise... (Très bien ! très bien !), Paris nous a donné un mandat qui aurait son péril et qui ajoute à sa gloire, c'est de voter contre le démembrement de la patrie... (Bravos sur plusieurs bancs de la gauche). Paris a accepté pour lui les mutilations, mais il n'en veut pas pour la France. Paris se résigne à sa mort, mais non à notre déshonneur... (Très bien ! très bien !), et, chose digne de remarque, c'est pour l'Europe, même temps que pour la France que Paris nous donne le mandat d'élever la voix. Nous avons une double mission à remplir, qui est aussi la vôtre : relever la France, avertir l'Europe...." (on peut lire la suite sur le site de l'Assemblée Nationale)
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Au pied du mur des Fédérés (une peinture et une photo)
La veuve du fusillé (Picq)
Eugène Atget (1900)
On dirait des bouées ou des vieux pneus, ce sont des couronnes mortuaires sûrement. Très angoissant.
07:51 | Lien permanent | Commentaires (2)