09/01/2015
La mise en scène des émotions
Juste un mot en vitesse avant de partir travailler. Oui, j'ai en horreur la mise en scène des émotions. Oui je trouve ridicule cette précipitation à répéter comme un slogan "Je suis Charlie". Depuis hier je n'entends que ça. "Je suis Charlie", ou des gens qui disent "je connaissais le frère du gars qui est parti en colo avec Charb quand il avait dix ans", comme si ça faisait d'eux des héros.Mais ils ne sont pas Charlie. Oui je ne partage pas cette envie de me retrouver avec d'autres gens avec qui je ne partage souvent rien dans le froid pour dire quoi ? Que c'est horrible ce qui est arrivé? Oui. Horrible comme beaucoup d'autres choses. Horrible parce que c'est en France ? Parce que c'est à Paris? Quel égoïsme.
J'ai participé à beaucoup de manifs dans ma vie, mais des manifs pour "demander", revendiquer. Des manifs comme éventuels moyens d'obtenir quelque chose. Avec un objectif. Ici quel est l'objectif autre que se mettre en scène? Quelle efficacité à ces rassemblements?
Ceci dit j'irai peut-être dimanche. Pour ne pas me fâcher avec tout le monde. Mais le "je suis Charlie" planétaire m'écoeure. Outre que pendant ce temps on ne fait rien.
06:28 | Lien permanent | Commentaires (14)
08/01/2015
Dévitalisé
Je ne "SUIS" évidemment pas Charlie.Et ils ne "sont" évidemment pas Charlie. J'ai lu Charlie- Hebdo chaque semaine pendant trois ou quatre ans comme je lisais Pilote les années précédentes et Actuel ensuite, avec ses feuilles de cannabis qui décoraient les marges.. A l"époque où je lisais Charlie-Hebdo je lisais -avec ferveur- la chronique de Cavanna en premier et je croyais en l'an 01 de Gébé qui disait que tout le malheur venait de ce que nous avions besoin d'usines qui fabriquent des langues de chat (c'est l'exemple qu'il prenait). Charlie-Hebdo prônait la vie pauvre, la non-consommation, à une époque de grande consommation, c'était avant le premier "choc pétrolier". J'aimais bien Cabu et la tendresse de ses dessins de Catherine aimée du grand Duduche. J'aimais Reiser et sa vindicte contre "les beaufs". Et je trouvais en même temps Charlie très misogyne. Ne parlons pas d'Hara-Kiri, si gaudriole française.
Au boulot hier, c'était comme au théâtre. "Dix morts". Une porte s'ouvrait dans un bureau "Onze morts" et ensuite la porte à nouveau: "Douze morts", comme si chaque nouvelle mort annoncée confirmait l'horreur.Comme des buts dans un match. Ensuite il y a eu: "Et Bernard Maris". Horreur des morts réelles, horreur de ce que je ressens chez les autres, cette jouissance morbide.
Le soir à la télévision, Hollande dans son rôle de président. Cazeneuve , dans un incroyable manteau matelassé. Philippe Val, anéanti. et dont on entendait dans sa douleur quelque chose de notre mort rétrospective. Car il y a quelque chose de, disons pour faire vite, surréaliste, à voir Charlie-Hebdo qui incarnait l'insolence, l'idée d'un monde différent, non pas projeté dans l'avenir, mais parallèle, en un sens underground -ce mot qui ne correspond plus à rien- porté aux nues par cette Nation soudain rassemblée et ce deuil commun dans lequel il y a cette précipitation suspecte à se jeter (Charlie, Lady Di, etc, la pulsion de mort à l'oeuvre). Charlie, dévitalisé depuis si longtemps -vous connaissez un jeune de 20 ans qui achète Charlie-Hebdo, vous?-
PS: ceux qui hurlent pour la liberté de la presse et qui ont refusé avec fierté de vendre le livre de Trierwiller ! Quelle mascarade.
2ème PS: je suis Pomme d'Api.
07:00 | Lien permanent | Commentaires (13)
06/01/2015
Ce soir dans le métro
C'est une très grande jeune femme qui rentre dans le métro. Elle a les cheveux blonds, frisés, longs, et un nez extrêmement busqué. Elle est très mince, élégante, elle porte un manteau clair, ajusté, et elle tient par la main une petite fille, une toute petite fille minuscule, qui a je pense trois ans, peut-être quatre. Non je crois plutôt trois. Elle a un bonnet rouge pâle avec comme des oreilles de chat, une sorte d'anorak rouge clair, une écharpe nouée autour du cou, des collants en laine, imprimés, sur ses adorables petites jambes. Elles restent debout, il y a beaucoup de monde.
Une autre femme qui vient d'entrer dans le wagon a trouvé une place. Au moment de s'asseoir elle propose à la petite fille que ça soit plutôt elle qui s'asseoit. La petite fille refuse et serre plus fort la main de sa maman. Dont je ne sais pas si c'est la maman mais sans doute que oui. L'autre femme est très brune, son visage est très féminin, elle a un joli nez, des yeux doux, des très jolis sourcils, des dents magnifiques. Son visage n'est que douceur.Elle sourit à la petite fille qui la regarde. Elle a un voile. Elle s'asseoit finalement tout en continuant à sourire à la petite fille. Elle lui demande comment elle s'appelle. Elle est habillée passe partout, et on devine qu'elle est plantureuse, aussi plantureuse que l'autre femme est mince. Elles sont jeunes toutes les deux, je pense qu'elles ont entre trente et trente cinq ans à tout casser.
A côté de la jeune femme arabe qui est assise, s'est assis un homme du même âge avec un gros anorak bleu foncé, il a l'air pakistanais. et tout le temps que dure cette scène il sourit, attendri. La femme assise montre sur son téléphone des photos à la petite fille qui s'approche de plus en plus d'elle. Je comprends qu'elle montre des photos de sa fille. Elle dit qu'elle est grande, qu'elle a 7 ans. La petite fille dit "Elle sort sa langue" au lieu de "elle tire la langue". La mère de la petite fille en photo dit en riant "Oui elle tire la langue, elle faisait des grimaces, elle faisait des bêtises". Elle relève alors la tête vers la grande femme blonde et j'ai peur un quart de seconde que la femme blonde soit agacée de ce mouvement de connivence souriante. Mais elle sourit aussi. Elles parlent ensuite de tétines. La femme blonde est plus réservée que la brune mais elle ne montre aucun recul. La femme brune montre ses dents. Je n'entends pas tout. Sans doute pour dire que la tétine abîme les dents.
C'est alors que tout le monde s'aperçoit qu'il y a un joli chien lisse et beige dans les bras d'un assez bel homme d'une trentaine d'années aussi. Le chien baille. La petite fille qui a dit très fort "Ya un chien" rit avec un rire de peur quand le chien baille. Le pakistanais rit, la femme blonde rit, la femme brune rit, le type avec le chien rit, je ris.
"On descend là" dit la femme blonde à la petite fille. "Aurevoir Juliette" dit la femme brune avec un sourire d'une gentillesse renversante. "Non c'est Julia" dit la petite fille. "Aurevoir Julia" dit la femme brune. La petite fille sort du wagon et sans se retourner dit "A tout à l'heure".
Je pense aussitôt à la guerre, à cette petite fille quand elle sera grande et que le monde sera ravagé.
21:56 | Lien permanent | Commentaires (5)