01/12/2016
Péguy est-il un ours ?
Alexandre de Vitry a publié l'année dernière un livre que je vais demander au Père Noël (j'ai été sage ? Oui, beaucoup trop cette année !): " Conspirations d'un solitaire. L'individualisme civique de Charles Péguy". (Editions des Belles Lettres, 37 € la vache !)
"...Dévoiler et cacher, dans un même geste, le secret individuel de toute politique, saper la cité en même temps qu’on cherche à la fonder. La politique de Péguy, si impérieuse, est aussi une antipolitique ; du XXe siècle, il aura porté à la fois le mal et le remède."...: voilà ce qu'écrit l'éditeur pour présenter le livre. Et sur le site Philitt, que je ne connais absolument pas, Vitry (de Vitry ?) répond à quelques questions, et c'est intéressant je trouve.
http.philitt.fr/2016/01/20/alexandre-de-vitry-lintransigeance-de-peguy-le-conduit-toujours-vers-une-position-de-solitude
alors je recopie ça en-dessous:
"...Alexandre de Vitry : Le type du conspirateur a donné lieu a beaucoup de littérature au XIXe siècle. L’exemple le plus célèbre étant sans doute Dostoïevski. Le conspirateur est un révolutionnaire et réciproquement. C’est une idée que l’on trouve chez Marx, qui distingue, parmi les révolutionnaires, des conspirateurs « professionnels » et « occasionnels ». Péguy lui-même se pense comme révolutionnaire au début de son parcours intellectuel en tant que socialiste et dreyfusiste. Mais il ne renonce jamais à cette figure quand ses choix politiques évoluent. Car l’imaginaire de la conspiration existe à droite comme à gauche. Les complots, réels ou non, qu’on dénonce, sont de tous les bords, qu’ils soient jésuite, juif, maçonnique…
Pendant l’affaire Dreyfus – qui est la scène primitive de la vie politique de Péguy – chacun accuse l’adversaire d’être à la tête ou victime d’un complot. Ce qui est intéressant chez Péguy, c’est que, plutôt qu’il ne dénonce le complot chez l’adversaire, il s’approprie une rhétorique du complot, l’idée de fomenter un projet avec un petit groupe dans l’ombre, pour décrire sa propre activité. En particulier, il use beaucoup de cette image pour parler des Cahiers de la Quinzaine. Mais justement, c’est surtout une image : il y a une différence entre ce que fait Péguy et ce que serait une véritable pratique de comploteur. Le but des Cahiers de la Quinzaine est tout de même de faire connaître des idées, de les diffuser au grand jour. Péguy est paradoxal : il veut comploter tout en étant dans la transparence ! Péguy pense les Cahiers comme une entreprise de sincérité mais il est également dissimulateur. C’est à mon avis le propre du véritable conspirateur, quelqu’un qui est obsédé par la chose publique mais qui fait tout passer par le privé. Et la « conspiration » de Péguy comporte une dernière singularité, que j’ai essayé d’afficher dans le titre de mon livre, qui est un oxymore : « Conspirations d’un solitaire ». On conspire toujours à plusieurs. Péguy veut conspirer mais il brise toujours les liens d’amitié qui rendent possible la conspiration.
De quelle manière Péguy met-il son individualisme au service du collectif, qu’il soit socialiste, républicain, national ou chrétien ?
Le terme de « cité » que j’ai mis en avant et que Péguy utilise beaucoup permet de répondre à cette question. La cité est un mot très chargé à l’époque de Péguy. Dire « cité », ce n’est pas dire « société » ni « collectif ». Cela fait référence à la cité antique telle qu’elle fut pensée par Fustel de Coulanges. Pour celui-ci, la cité est l’état d’une société où l’individu n’existe pas. Péguy se sert du terme de cité pour désigner au contraire la forme collective où l’individu va pouvoir le plus s’épanouir. Pour Péguy, ce qu’il y a toujours au bout de la pensée du collectif le plus prégnant – que ce soit dans le christianisme, dans la race ou dans la patrie – c’est l’individu. C’est à la fois son principe et sa finalité. Plutôt que de s’engager dans un individualisme explicite, Péguy retourne le terme de cité, extrêmement chargé, pour lui donner un nouveau sens.
Péguy, insaisissable, est socialiste contre le parti socialiste, patriote contre les nationalistes, chrétien anticlérical… La « pureté » des engagements de Péguy ne compromet-elle pas leur réalisation ?
Oui et c’est vrai pour tous ses engagements aussi différents soient-ils. L’utopie empêche les choses de prendre corps. Pourtant, Péguy veut que cette conscience utopique qui est la sienne se répercute dans le présent. À titre d’exemple, son socialisme doit commencer ici et maintenant par une révolution individuelle. Mais l’intransigeance de Péguy n’est pas seulement idéologique ou doctrinale, il y a également une dimension psychologique, quelque chose qui relève du tempérament, une pente irrépressible qui le conduit toujours vers une position de solitude où il rebat les cartes et recommence à zéro. Tout son parcours est jalonné de micro-ruptures de cet ordre là...."
Voilà c'est tout.
13:54 | Lien permanent | Commentaires (6)
BJÖRN !
Cet album (éditions Les fourmis rouges, 12€50) vient d'obtenir le prix des livres pour les petits au salon du livre pour la jeunesse de Montreuil. Hâte de le voir en vrai, de le regarder, de le lire. Passion pour les ours.
09:27 | Lien permanent | Commentaires (4)
30/11/2016
Cuba
Renoir
Hier, quelques jours après la mort de Fidel Castro, je me suis demandé si j'allais écrire un billet sur mes trois semaines à Cuba en 1988. Mais d'abord, je crois que j'en ai plus ou moins raconté des morceaux -sans doute sur mon blog précédent qui s'appelait "Tombés de l'éventail". Et puis je me suis dit que 88 c'était loin, et aussi que j'allais essayer d'imposer ma vision, forcément très partiale. Et puis finalement, je ne résiste pas -jamais !- à l'envie d'écrire. Et donc voilà. C'était en février 88, j'avais 34 ans. Nous sommes arrivés (j'étais avec mon futur ex-mari) en pleine nuit, enfin une ou deux heures du matin, et ce qui m'a frappé dans le taxi en sortant de l'aéroport, ce sont tous les hommes jeunes adossés à des murs (tiens, un peu comme les lupins !) qui fumaient, ou non, dans la nuit, les bras nus dans la chaleur de la nuit cubaine. C'était étrange, un peu inquiétant, bizarre. L'hôtel était assez moche. Donc le lendemain on a cherché un autre hôtel, suivi dans La Havane toute la journée par un petit chien. Genre Milou. J'ai adoré le Malecon, ce grand boulevard tourné vers la mer, avec sa digue qui m'a vraiment fait penser au Sillon à Saint-Malo (là où Chateaubriand s'amusait quand il était petit). Les façades des maisons étaient beaucoup plus décaties, attaquées par le sel marin, mais plus belles aussi qu'à Saint-Malo, rococo, baroques, des pâtisseries piquées de rouille. On ne peut que tomber amoureux de La Havane. Le Malecon à la tombée de la nuit est magnifique, le vent de la mer soulève les cheveux, et tout Cuba est là derrière, ah c'est trop beau !
La Havane a été construite au XVIème siècle par les Espagnols. C'est vraiment une belle ville, une ville fortifiée, avec des arcades comme rue de Rivoli ou comme à Rochefort ou comme place des Vosges ou comme à Casablanca (etc. etc. !), avec des couleurs de glace vanille, pistache, café, fraise. Tout un quartier est d'ailleurs classé patrimoine mondial de l'Unesco, splendide avec ses 5 grandes places, ses palais aux grilles de fer forgé, ses cours aux somptueux palmiers.
Je ne sais plus où nous avons trouvé un hôtel. Est-ce celui- ci, un peu excentré, uniquement composé de bungalows abîmés mais avec une belle piscine déserte ? Mes souvenirs se mélangent un peu. Comme nous n'avions le permis ni l'un ni l'autre, nous nous sommes déplacés en autocar ou en bus, et c'était épique, mais très bien. Nous étions vraiment avec les cubains, nous étions soumis aux mêmes aléas de transport. "Esperar a la guagua es un deber social" chantaient-ils ! (Prononcer guagua " "ouaoua", c'est le bus). Les horaires sont fantaisistes car le matériel était très vétuste. Entre les villes, c'est pire. Des espèces de dragons régimentaient le trafic des cars sur des autoroutes désertes. Il fallait se bousculer, comprendre un système de réservation de tickets très complexe, surmonter toutes sortes d'obstacles, attendre parfois deux heures, trois heures, quatre heures, pour arriver à monter dans un car faisant 50 kilomètres. Nous avons pris le train aussi, encore plus lent, passant lentement fenêtres bloquées ouvertes sur l'odeur exquise des champs de canne à sucre , et où au loin galopait un homme à cheval fier comme un conquistador. Nous avons pris aussi un dangereux Tupolev (c'est un avion russe) pour rejoindre Santiago à l'autre bout de l'île. Et puis nous avons fait du stop, pris par des camions, à l'arrière des camions dans les cargaisons de cannes, et de temps en temps une longue voiture américaine rose toute déglinguée, (je ne sais pas s'il en reste aujourd'hui) nous dépassait.
(...)
10:40 | Lien permanent | Commentaires (5)