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19/07/2013

Ce n'est plus un frigo, c'est un poulailler !

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D'habitude on manque toujours d'oeufs dans cette maison.

Mais là, je ne fais ni cuisine, ni desserts, ni gâteaux: pas la force en ce moment.

Ainsi, comme le disait Sénèque: "de ovo in frigo, como buenae formae barometro"  !

La dignité dont parle Patrice Chéreau, sans employer ce mot

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Dans un entretien paru hier soir dans Le Monde, Patrice Chéreau dézingue les directeurs de théâtres subventionnés qui ne veulent pas laisser leur place, et dit avec clarté qu'il faut savoir la laisser (sa place). C'est énoncé brutalement, et quelle bonne chose rafraichissante face à la vraie brutalité, celle de tous ceux qui en effet se considèrent propriétaires de leur poste, où qu'ils soient, ou de leur mandat, ou de quoi que ce soit. Je ne connaissais pas Benoin le directeur du théâtre de Nice qu'il assassine particulièrement, ce gars qui pour rester en place a osé proposer: "Je dirigerai avec une femme comme ça ya pas besoin que je parte". Et quand Chéreau dit que Zabou Breitman (la femme) "vient de nulle part", ça parait vache mais il a raison: soit elle dirige seule, soit elle ne se soumet pas à cet alliage humiliant.

 Je suis allée voir la programmation du théâtre, subventionné, donc,  de Nice. Horrible. Comme partout. Plein de "d'après...", "d'après Racine", d'après untel, un machin de Bernard Pivot (?!), Van Cauwelaert (!), des conneries, des sombres conneries, il y en a plein partout en province des théâtres comme Nice,  bourrés d'Emmanuel Schmitt  et Yasmina Reza. Je n'aime pas ces théâtres.

Benoin ça fait onze ans qu'il est directeur de ce théâtre dont je ne vois pas la différence de programmation avec un théâtre privé. (Ceci dit, ne me poussez pas sur le sujet des théâtres subventionnés, je crois que je suis très contre. Raison de plus !)

Quant à Jean- Marie Besset, directeur depuis 5 ans du théâtre de Montpellier, il pleurniche que c'est dégueulasse de ne pas l'aimer, lui aussi il veut rester, calimero dans son bateau pfff.

Chéreau n'utilise pas le mot de dignité mais c'est de cela qu'il parle en effet en disant qu'il faut savoir partir. Il est tranchant, brutal et pas langue de bois, c'est très bien. Ill n'évoque pas la "dignité". Mais c'est cela qui est en question. Enfin, d'argent aussi. De pouvoir. De "rentes de situation". Il emploie cette expression et c'est celle qui convient et partout, elles dégoûtent.

Bon, il y aurait plein d'autres choses à dire. Et aussi que dans le même Monde on peut lire (ou pas) un irritant portrait d'Olivier Py. Et aussi qu'à Aix en Provence on peut (?!) ces jours-ci voir et écouter "Elektra" de Strauss (mis en scène par Chéreau) et que si j'ai une baguette magique, ce soir j'y vais! (tant qu'à faire, une place à 240 €, merci baguette magique !)

PS: le premier qui dit qu'il reconnait Roselyne Bachelot sur la photo, est aussi bête que moi !

 

 

18/07/2013

"Comment on paie ses dettes quand on a du génie" (Baudelaire)

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"L'anecdote suivante m'a été contée avec prières de n'en parler à personne : c'est pour cela que je veux la raconter à tout le monde.... Il était triste, à en juger par ses sourcils froncés, sa large bouche moins distendue et moins lippue qu'à l'ordinaire, et la manière entrecoupée de brusques pauses dont il arpentait le double passage de l'Opéra. Il était triste.

C'était bien lui, la plus forte tête commerciale et littéraire du dix-neuvième siècle ; lui, le cerveau poétique tapissé de chiffres comme le cabinet d'un financier ; c'était bien lui, l'homme aux faillites mythologiques, aux entreprises hyperboliques et fantasmagoriques dont il oublie toujours d'allumer la lanterne ; le grand pourchasseur de rêves, sans cesse à la recherche de l'absolu ; lui, le personnage le plus curieux, le plus cocasse, le plus intéressant et le plus vaniteux des personnages de La Comédie humaine, lui, cet original aussi insupportable dans la vie que délicieux dans ses écrits, ce gros enfant bouffi de génie et de vanité, qui a tant de qualités et tant de travers que l'on hésite à retrancher les uns de peur de perdre les autres, et de gâter ainsi cette incorrigible et fatale monstruosité !

 

Qu'avait-il donc à être si noir, le grand homme ! pour marcher ainsi, le menton sur la bedaine, et contraindre son front plissé à se faire Peau de chagrin ?

 Rêvait-il ananas à quatre sous, pont suspendu en fil de liane, villa sans escalier avec des boudoirs tendus en mousseline ? Quelque princesse, approchant de la quarantaine, lui avait-elle jeté une de ces oeillades profondes que la beauté doit au génie ? ou son cerveau, gros de quelque machine industrielle, était-il tenaillé par toutes les Souffrances d'un inventeur ?

 Non, hélas ! non ; la tristesse du grand homme était une tristesse vulgaire, terre à terre, ignoble, honteuse et ridicule ; il se trouvait dans ce cas mortifiant que nous connaissons tous, où chaque minute qui s'envole emporte sur ses ailes une chance de salut ; où, l'oeil fixé sur l'horloge, le génie de l'invention sent la nécessité de doubler, tripler, décupler ses forces dans la proportion du temps qui diminue, et de la vitesse approchante de l'heure fatale. L'illustre auteur de la Théorie de la lettre de change avait le lendemain un billet de douze cents francs à payer, et la soirée était fort avancée.

 En ces sortes de cas, il arrive parfois que, pressé, accablé, pétri, écrasé sous le piston de la nécessité, l'esprit s'élance subitement hors de sa prison par un jet inattendu et victorieux.

 C'est ce qui arriva probablement au grand romancier. Car un sourire succéda sur sa bouche à la contraction qui en affligeait les lignes orgueilleuses ; son oeil se redressa, et notre homme, calme et rassis, s'achemina vers la rue Richelieu d'un pas sublime et cadencé.

 Il monta dans une maison où un commerçant riche et prospérant alors se délassait des travaux de la journée au coin du feu et du thé ; il fut reçu avec tous les honneurs dus à son nom, et au bout de quelques minutes exposa en ces mots l'objet de sa visite :

 «Voulez-vous avoir après-demain, dans Le Siècle et les Débats, deux grands articles Variétés sur Les Français peints par eux-mêmes, deux grands articles de moi et signés de mon nom ? Il me faut quinze cents francs. C'est pour vous une affaire d'or».

 Il paraît que l'éditeur, différent en cela de ses confrères, trouva le raisonnement raisonnable, car le marché fut conclu immédiatement. Celui-ci, se ravisant, insista pour que les quinze cents francs fussent livrés sur l'apparition du premier article ; puis il retourna paisiblement vers le passage de l'Opéra.

 Au bout de quelques minutes, il avisa un petit jeune homme à la physionomie hargneuse et spirituelle, qui lui avait fait naguère une ébouriffante préface pour la Grandeur et décadence de César Birotteau, et qui était déjà connu dans le journalisme pour sa verve bouffonne et quasi impie ; le piétisme ne lui avait pas encore rogné les griffes, et les feuilles bigotes ouvert leurs bienheureux éteignoirs.

 «Édouard, voulez-vous avoir demain 150 francs ? - Fichtre. - Eh bien ! venez prendre du café».

 Le jeune homme but une tasse de café, dont sa petite organisation méridionale fut tout d'abord enfiévrée.

 «Édouard, il me faut demain matin trois grandes colonnes Variétés sur Les Français peints par eux-mêmes» ; le matin, entendez-vous, et de grand matin ; car l'article entier doit être recopié de ma main et signé de mon nom ; cela est fort important».

 Le grand homme prononça ces mots avec cette emphase admirable, et ce ton superbe, dont il dit parfois à un ami qu'il ne peut pas recevoir : «Mille pardons, mon cher, de vous laisser à la porte ; je suis en tête à tête avec une princesse, dont l'honneur est à ma disposition, et vous comprenez...»

 Édouard lui donna une poignée de main, comme à un bienfaiteur, et courut à la besogne.

 Le grand romancier commanda son second article rue de Navarin.

 Le premier article parut le surlendemain dans Le Siècle. Chose bizarre, il n'était signé ni du petit homme ni du grand homme, mais d'un troisième nom bien connu dans la Bohème d'alors pour ses amours de matous et d'Opéra Comique.

 Le second ami était, et est encore, gros, paresseux et lymphatique ; de plus, il n'a pas d'idées, et ne sait qu'enfiler et perler des mots en manière de colliers d'Osages, et, comme il est beaucoup plus long de tasser trois grandes colonnes de mots que de faire un volume d'idées, son article ne parut que quelques jours plus tard. Il ne fut point inséré dans les Débats, mais dans La Presse.

 Le billet de 1 200 francs était payé ; chacun était parfaitement satisfait, excepté l'éditeur, qui l'était presque. Et c'est ainsi qu'on paie ses dettes... quand on a du génie.

 Si quelque malin s'avisait de prendre ceci pour une blague de petit journal et un attentat à la gloire du plus grand homme de notre siècle, il se tromperait honteusement ; j'ai voulu montrer que le grand poète savait dénouer une lettre de change aussi facilement que le roman le plus mystérieux et le plus intrigué."

 

 "Comment on paie ses dettes quand on a du génie" , Charles Baudelaire dans le n° du Corsaire-Satan du 24 novembre 1845.