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13/12/2014

La suite du matin

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David Hockney

J'arrive donc gare Saint-Lazare, la gare où je crois mes parents se donnaient rendez-vous avant leur mariage, mon père habitait à Courbevoie, ma mère à Asnières, cette belle gare devenue laide mais dont le toit encore, quand on arrive, est le même que celui peint par Monet, magnifique, j'ai peur qu'un jour il soit détruit, je ne sais pas s'il est classé.

Il est sept heures et demi. J'ai faim (J'ai souvent faim. J'ai toujours faim). Au sous-sol il y a un Paul où j'achète une part de flan. J'aime les flans. Ceux-là ne sont pas très bons. Fades, un peu pâteux. Mais j'ai trop faim en général pour attendre l'autre Paul qui est rue du hâvre (et pas du Havre, ça ne fait pas longtemps que je l'ai découvert) et où les flans sont meilleurs, les parts plus grosses, et les nanas adorables.  Et où il y a une glace flatteuse, j'y jette toujours un coup d'oeil, elle est arrangeante, c'est très agréable. Ils sont très gentils dans ce Paul là. Vous savez que ce sont des magasins franchisés? Qu'ils sont donc différents les uns des autres? En mangeant le flan du premier Paul je traverse l'espèce de parvis qui est maintenant devant la gare, et si je ne me suis pas arrêtée chez ce Paul je traverse le parvis pour aller chez le deuxième Paul. Vous me suivez?

Mais parfois je ne sors pas de ce côté là de la gare, je sors à droite, je traverse la rue et je longe le trottoir le long duquel sont stationnés les camions de livraison. Il y a un arrêt de bus vers lequel les femmes de tous âges courent. Les hommes ne courent pas. Je regarde la grande cigogne en plastique qui surmonte le toit du petit mac do. Au coin de la rue du hâvre il y a souvent un clochard allongé ou une femme brune assise qui mendie, toujours la même. Je ne leur donne jamais, j'aurais l'impression de tromper celui à qui je donne entre deux euros et deux euros cinquante tous les matins quand je sors du métro, le monsieur roumain que j'aime, qui est là, qu''il pleuve, qu'il vente, avec son petit chien beige qui dort tout tiède roulé en boule, et lui, l'homme,,âgé, les yeux bleus, m"embrasse la main tous les matins et je l'aime, je l'aime vraiment.

Mais je n'y suis pas. Je suis rue du hâvre, je suis devant le Printemps, je descends dans le métro. Qu'est ce que je fais dans le métro? Comme il est tôt j'ai souvent une place assise. Je m'asseois. Si je ne peux pas m'asseoir je me plains, je soupire, je me dis que je ne tiendrai jamais, que c'est inhumain, des choses comme ça, j'aime bien me plaindre moi-même. Mais bon, grosso modo je suis assise. Les voyageurs sont très différents de ceux du train, beaucoup plus variés. Sauf qu'il n'y a plus de gens âgés. Les gens âgés ont disparu du métro. A cette heure là, ce sont des travailleurs, des gens qui comme moi vont quelque part gagner leur vie, en maugréant et en se réjouissant en même temps d'être à l'abri. Du chômage, des grosses emmerdes, de la misère. Personne n'a l'air très gai. Tout le monde est endormi, résigné, plongé dans ses pensées, son portable, son 20 Minutes, ou Direct Matin, ces deux affreux journaux gratuits. A Charonne je sais que j'ai fait une bonne partie du chemin. A Rue des boulets que j'approche (c'est une station de métro qui s'appelle rue des boulets, j'adore ce nom), que Nation est la prochaine station où beaucoup de gens descendent et beaucoup d'autres montent, que dans trois stations je vais arriver, qu'aucune bombe n'a explosé, qu'à la maison tout le monde réveillé est parti, au collège, à la fac, que les chats sûrement dorment tranquillement dans le calme de l'appartement, Jimmy peut-être les fesses sur le radiateur, Absinthe sur le lit de Louise. J'ai reçu trois ou quatre textos. J'ai mal aux genoux en montant les marches hautes de la station. Il y a ensuite un escalator et enfin je revois le ciel, puis la place immense de la porte de  Montreuil, grande comme à la Havane la place de la Révolution où Fidel Catro faisait des discours de quatre heures, elle passe au-dessus du périphérique où les voitures soir et matin sont à la queue leu leu. J'ai donné les deux euros à celui que j'appelle mon amoureux du matin, j'ai toujours envie de pleurer au moment où je le quitte, puis je passe devant le bâtiment si imposant de la CGT, je fais quelques pas, j'ouvre la porte de l'immeuble avec mon badge bleu, je dis bonjour au gardien qui est assis dans sa loge, mystérieux, je prends l'ascenseur, des ascenseurs qui se détraquent tout le temps, on est souvent coincés, je me regarde dans la glace, voilà, j'y suis, je fais le code à la porte du boulot, j'entre, il est huit heures vingt, huit heures vingt cinq, je suis souvent la première, il fait tout noir, j'allume en grand toutes les lumières sauf celles de mon bureau, je regarde ma plante,je prends quarante centimes pour la machine à café où je ne bois jamais de café mais des gobelets de chocolat dont je me drogue toute la journée, ma collègue N. qui est très jeune, sublimement belle et sérieuse, arrive, les stagiaires vont arriver, sonner les uns après les autres, les collègues arrivent aussi au fur et à mesure, le jour se lève lentement. Je suis pleine de forces. Elles déclineront vers quatorze heures brusquement et si vous voulez tout savoir à quinze heures j'ai toujours un de ces coups de pompe ! Je me coucherais bien par terre et dormirais.Parfois en vrai je vais dormir cinq minutes assise aux toilettes. Après ça va mieux.

 

Commentaires

Bonjour Sophie ! OUI, c'est tout à fait comme je le pensais..toujours le même horaire, les mêmes personnes que vous avez plaisir de voir, fidèles au poste.....les mêmes flans...les mêmes collègues ! ....Comment est le patron?.......Par moments j'envie cette vie que je n'ai connue que pendant quelques courtes années de ma jeunesse....ma vie a été tellement différente ! Souvent seule, entourée d'enfants que j'ai tant soignés et encouragés...et je revis souvent cette journée où le Père était là, et où les enfants étaient sages......il y a trop de choses à dire, que je vous laisse imaginer.....MERCI pour le récit de cette vie d'ailleurs qui vous fatigue tant.....mais quelle joie en recevant le salaire de tant de tracas matinaux!!!!!!

Écrit par : meregrand | 13/12/2014

Oui j'imagine souvent votre vie. Celle que je décris ici c'est la mienne depuis 4 ans seulement. Et encore. Depuis septembre quant au travail tous les jours. Avant j'ai eu tellement de vies si différentes!

Écrit par : Sophie | 13/12/2014

Ton amoureux du matin, il doit t'aimer aussi. Quelle fatigue, quand même que tous ces trajets, le train, le métro..... le boulot. Et en plus, tu refais le même trajet à l'envers le soir. Je ne sais pas comment tu tiens.

Écrit par : Julie | 13/12/2014

C'est en effet le trajet du soir qui est dur, et même affreux des fois. Le matin ça va. Mais le soir j'ai 150 ans.

Écrit par : Sophie | 13/12/2014

J'aime beaucoup ton récit, tes repères. Je me suis amusée à te suivre sur mon plan de métro, tu descends à la station "Maraîchers" alors? Quel trajet! C'est en effet épuisant.

Écrit par : Fanfan | 13/12/2014

A la station suivante: porte de Montreuil !

Écrit par : Sophie | 13/12/2014

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