"Lui, président de la République, aurait pu annoncer la construction de dizaines de milliers de logements sociaux. Lui, président de la République, aurait pu ouvrir des dizaines de commissariats de proximité et créer un minimum social pour les jeunes. Il en a décidé autrement. Lui, président de la République, préfère embrasser le représentant des «pigeons». Il va donner 30 milliards d’euros par an aux entreprises via son «pacte de responsabilité» qui va diminuer les cotisations patronales familiales. Les patrons applaudissent. Pourquoi une telle mesure fait-elle l’objet de si peu d’opposition ? Rares sont les citoyens qui mesurent ce que 30 milliards d’euros annuels signifient. Cela représente presque la moitié du total des dépenses du budget 2014 de l’éducation, ou 100 fois le montant du plan annoncé en janvier pour les zones d’éducation prioritaires. Ce pacte est l’équivalent de 3 fois le budget de la police nationale et 4,8 fois celui de la justice. 20% des dépenses qui y seront consacrées auraient suffi pour accorder un minimum social au 1,1 million de jeunes en difficulté. Un dixième aurait permis d’ouvrir 200 000 places de crèche.
La liste est longue des besoins sociaux qui demandent des réponses urgentes. Qui peut dire aujourd’hui qu’il ne faut pas davantage de moyens pour assurer une fin de vie décente aux personnes âgées dépendantes ? Que nos prisons ne sont pas dans un état de délabrement qui fait honte à la France ? Que les conditions d’étude dans les universités sont satisfaisantes ? Que la police assure correctement la sécurité dans certaines cités de banlieue ? En contrepartie, on aura donc le pacte. Il réduira le coût du travail de 4% et devrait permettre de créer des emplois. L’Observatoire français des conjonctures économiques estime que l’actuel «crédit d’impôt compétitivité emploi» aboutirait, au plus, à 150 000 emplois pour un coût de 20 milliards par an, soit plus de 130 000 euros l’emploi créé. Avec le même montant, au moins 3 fois plus d’emplois associatifs auraient pu être développés par les régions ou les départements, mêlant fonds publics et privés. Les mesures de réduction du coût du travail opérées par le passé, comme la réduction Fillon, ont plombé les comptes publics sans relancer l’emploi. Et encore, elles étaient concentrées sur les bas salaires : la suppression des cotisations familiales finance aussi l’emploi des cadres supérieurs. Seul l’Elysée croit aux effets du «pacte», pour lequel les entreprises refusent de s’engager. Personne n’est dupe du pittoresque «observatoire des contreparties», tout droit sorti du chapeau d’un chargé de communication. Car personne ne peut contraindre une entreprise à embaucher. Heureusement d’ailleurs. Au bilan, il servira à grossir les profits, qui augmenteront de 10%, alors que les entreprises auraient besoin d’une relance de l’activité. Les patrons ont bien davantage besoin d’un cadre stable, d’une économie qui reprenne et qu’on s’attaque enfin à la bureaucratie que de quelques pourcentages en moins sur le coût du travail. Comment peut-on en être arrivé là ? Ce pacte est un «coup» politique imaginé par des communicants et quelques technocrates. Le Président mène la politique de l’opposition pour la gêner. «Malin», ont noté la plupart des commentateurs, sans imaginer qu’en politique on pouvait avoir des valeurs. Les électeurs du changement en seront pour leurs frais. Ce pacte marque un désintérêt face aux besoins sociaux concrets de la France contemporaine.
Lui, le Président, ne s’intéresse pas aux couches populaires. Sa politique consiste à promouvoir des plans en 20 points et 10 expérimentations territoriales, élaborés par une poignée d’énarques, validés par d’éphémères sondages. Ses ministres en sont réduits à glaner quelques dizaines de millions d’euros que l’on va habiller médiatiquement. Ainsi, en pleine crise, la nouvelle politique de la ville va réduire les moyens d’une partie des quartiers défavorisés pour investir des miettes dans ceux qui le sont encore plus. Le résultat de cette politique, dopée aux sondages, est un désastre politique comme on en a rarement connu, le vent de l’opinion tournant au fil de la pression médiatique.
Après «Travailler plus pour gagner plus», «Le changement, c’est maintenant» est devenu un slogan dérisoire, potion amère pour ceux qui y ont cru, et dont beaucoup n’ont plus d’autre solution que de se réfugier aux extrêmes s’ils veulent vraiment que cela change. Il faudra des années pour réparer cet immense gâchis au sein des partis du gouvernement qui valident la politique menée. Il en sera de même demain, quand la droite sera au pouvoir avec les mêmes recettes. Comme le montrent nos exemples, il existe dans un grand nombre de domaines un consensus - qui dépasse de loin les frontières droite-gauche - sur la nécessité d’une action publique concrète et efficace. Contrairement à ce qui est défendu à gauche, notre pays doit réaliser des économies budgétaires de grande ampleur, notamment au niveau local. Pas seulement parce que le déficit public et la dette l’imposent mais aussi parce que l’argent public est l’argent de tous. Les marges ainsi dégagées devraient être mises au service de la modernisation de la France, non à nourrir les revenus du capital et les profits des pigeons."