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17/11/2014

"Mon père lisait La Terre" dit-elle.

alb611.jpgAlbi

Une des choses que je préfère dans mon travail, c'est rencontrer des gens pour la première fois. Dans la vie en dehors du travail aussi. Il y a très souvent quelque chose de magique les premières fois. Ce matin c'est une femme de 58 ans. Elle a deux ans de moins que moi et quand je l'aperçois souriante, les yeux plissés, une toute petite silhouette minuscule, je me dis que c'est une vieille dame. Une vieille dame comme la vieille dame dans Babar.

Et quand une heure et demi plus tard, elle part, c'est comme si elle avait 17 ans. Je viens de lui dire "Vous êtes adorable et formidable". Elle sourit tout le temps, mais pas un sourire forcé, un vrai sourire gentil et malicieux. Elle vient d'Albi et elle a une pointe d'accent de là-bas. Toute sa vie elle a été manipulatrice en radiologie à l'hôpital. Elle parle si bien de son travail. Je suis émue plein de fois quand elle raconte toutes les années de cette vie, tout me plait en elle, son féminisme, sa bonté, sa fermeté, sa drôlerie, son courage, sa bienveillance, son action syndicale,son intelligence, sa simplicité, sa force. (Elle vient de guérir d'un cancer qui l'a mis sur le flanc pendant deux ans)

Et puis soudain elle parle de son père qui faisait de la culture et de l'élevage, et de son mari à elle qui informaticien s'ennuyait et a repris l'exploitation de son beau-père, et a "tout appris de lui. Puis l'élève a dépassé le maître" dit-elle en riant tendrement avec les yeux qui brillent. "Mon père lisait La Terre. C'était un paysan. Il n'a jamais été au parti communiste. Mais il lisait La Terre. J'ai baigné là-dedans". (La Terre c'est en effet un journal proche du PC, un hebdomadaire destiné aux agriculteurs, un journal qui a été créé par Waldeck Rochet juste après le Front Populaire,et  qui existe aussi sous forme de site internet aujourd'hui; il a perdu de sa superbe, aseptisé, vidé de sa substance. Tiré à 25 000 exemplaires aujourd'hui il l'a été à 300 000 au temps de sa gloire)

Elle a donc baigné dans la terre. Et  puis un jour vers ses 40 ans leur bergerie dit-elle a pris feu à la suite d'un court-circuit. Les moutons n'ont pas été brûlés mais axphyxiés par les fumées toxiques qui se sont dégagées du toit. Je demande "Il y avait beaucoup de moutons?" pensant qu'elle allait répondre dix...douze...

Mais elle dit "350".

Je vois alors ces 350 moutons morts, les mères moutons, les bébés, ce désastre, leur évacuation, comment? leur saisissement à elle, à son mari, au père. Ce malheur qui a des allures de malheur biblique.

 

Elle est venue de Toulouse en avion. Elle le reprend à quinze heures. On se dit à bientôt.

 

Commentaires

Magnifique portrait de cette dame, pas vieille, qui portait sur ses épaules et dans son regard, je suppose, toutes ces années de vie avec ses bonheurs et ses malheurs mais passionnante ; c'est ainsi que je vois cette petite dame jeune, (comme je voudrais avoir 58 ans..) et je pense à ses petits moutons

Écrit par : jos | 18/11/2014

Tu nous la rends vivante, adorable, tu nous donnes envie de la connaitre, c'est formidable comme tu écris bien.

C'est beau, ce titre :"mon père lisait La Terre". Je suis triste en pensant aux moutons asphyxiés, les animaux qui souffrent, ça me rend toujours malheureuse.

Écrit par : Julie | 18/11/2014

J'ai toujours cru que son nom était Crochet à Waldeck. Où avais je donc la tête.

Écrit par : Marie Hatton | 18/11/2014

Dans la vie en fait de belles rencontres..
Merci pour ce billet

Je vous embrasse

Écrit par : george | 19/11/2014

Les commentaires sont fermés.