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21/12/2012

Chateaubriand hier soir

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J'avais peur de tousser. J'ai toussé. Quatre fois vers le début, mais c'est tout. Correct... J'avais peur de tousser parce que j'étais au théâtre, ce qui m'arrive trois fois par an les bonnes années, et parce que j'ai une bronchite, ce qui ne m'arrive jamais, sauf en ce moment. Donc il était prévu depuis longtemps de voir "à tout hasard-on verra bien" les Mémoires d'outre-tombe.Ouille! un "spectacle" avec Jean-Paul Farré seul sur scène. Vous voyez qui c'est Jean-Paul Farré? je dirais: un type qui aime le théâtre, qui sur scène a joué Shakespeare et Molière et au cinéma des seconds rôles dans des films plutôt bidons, un type qui n'a jamais été tête d'affiche et qui a son mystère et son visage aussi (Farré ressemble un peu à Ferré, ah ah), un type qui traverse les années en jouant et dont le nom de famille est toujours accroché au prénom. Bien sûr que j'étais méfiante (cette horrible chose d'être méfiante)....mais aussi je me disais que dans une pièce aussi mauvaise soit-elle qui évoquerait Chateaubriand, un peu de son esprit y flotterait quand même. Car comme existe le Chrismas spirit, existe aussi le Chateaubriand spirit!

Bref, on verrait bien.

Il faisait nuit noire, les spectacteurs sont entrés, aux 8/10ème assez chenus, enfin disons à la retraite, et aux 2/10ème 17-18 ans, peut-être des élèves encouragés à venir par leur prof de français. Il y avait aussi au 3ème rang  l'attaché culturel sans doute de la municipalité ou ce genre de métier, un type dans les 35-40 ans en pull à col roulé noir qui avant que le rideau s'ouvre (c'est une image, il n'y avait pas de rideau et j'ai horreur de ça, qu'il n'y ait pas de rideau) faisait des grands gestes, regardait si on le regardait, serrait des mains, faisait des blagues (très cons pour ce que j'ai entendu), se trouvait beau et intelligent et cultivé, a embrassé ostensiblement quelques VIP qui devaient être deux maires et deux nanas blondes dans les quarante ans qui faisaient directrices de machins culturels et qui puaient l'idée que le monde entier sauf elles, c'est tout des ploucs, et  à la fin de la pièce il s'est mis debout, tapait très fort dans ses mains comme si Chateaubriand était réapparu en personne, euh non, comme si Filipetti lui promettait un stage de chargé de com' au ministère rue de Valois, jouait le gars qui fait une "véritable ovation, mon pote" à Farré et s'est retourné pour fusiller du regard la salle qui ne se levait pas et continuait à applaudir mollement. Et sur son visage ily avait écrit "Crétins, va, on leur donne du Chateaubriand, du Chateaubriand moderne, comique et ils voient rien, confiture aux cochons. je suis sûr qu'ils lisent pas les Inrocks ces tarés" ou quelque chose comme ça.

Après les salutations de la fin, Farré a remercié le gars qui a donc eu son instant de gloire, Farré a dit "Untel avait vu le spectacle cet été à Avignon dans une toute petite salle, il m'a dit "viens ça sera très bien dans une grande salle et grâce à lui je suis là", et on voyait que Monsieur Je m'occupe de théâtre pensait qu'elles étaient sûrement nombreuses les femmes dans la salle dont les songes étaient merveilleusement traversés par la vision d'un Monsieur Je m'occupe du théâtre, en chemise blanche, manches relevées, marchant dans le soleil des rues d'Avignon, peut-être avec des lunettes de soleil, qui sait, et qu'elles hésitaient: qu'est ce qui lui va le mieux un col roulé noir ou une chemise blanche, comment choisir, il est parfait!

 

Le "spectacle"? -je ne sais pas comment dire car ce n'est pas très spectaculaire: les déplacements de Farré sont assez loupés, il s'agite au milieu de ses livres (des gros faux livres qui peuvent servir de tabouret, très moches; le décor est très moche), de ses tableaux (alors là on ne voit vraiment pas pourquoi) comme un vieillard qui chercherait où il a pu foutre sa lampe de poche, si ça se trouve elle est au grenier,  il monte au grenier, putain mais où elle est? on est donc comme dans un grenier. Et ça commence comme ça: Chateaubriand -enfin, le faux, hein- arrive en robe de chambre (mon dieu j'ai cru mourir) et en charentaises écossaises (ils ne savent pas ce qu'ils font, il leur sera beaucoup pardonné) et farfouine donc dans "ses affaires". Déjà ça m'a énervée. Mais je m'y attendais, j'étais prête au pire.

Résumons: jeu de scène: à chier.On aurait dit un enfant mimant "je cherche dans mes souvenirs", bref une espèce de paraphrase. Inepte.

Et puis Farré se met à parler et on reconnait le texte donné par morceaux, mot à mot, bien respecté, et l'assemblage dans le désordre des passages du texte est réussi, enfin je trouve. Beaucoup de choses de Chateaubriand y sont. Et Farré qui avait l'air de se barber au début s'anime. Les passages où il est question de Napoléon sont très réussis, Farré sait très bien faire entrer un nouveau personnage sur scène, ça c'est vraiment bien.

Il réussit aussi à montrer la puissance de Chateaubriand (contradictoire avec la mise en scène et je ne vous ai pas dit qu'en plus Chateaubriand coule du nez, se mouche, sans doute que pour le mettreur en scène -ce n'est pas Farré- être vieux =  couler du nez) par une élocution très ferme, que moi j'ai aimée, loin d'un quelconque gnangnantisme. Son Chateaubriand est viril, c'est bien!

Alors le hic? Le hic c'est que Farré comme moi, et nous ne sommes pas très originaux, trouve Chateaubriand souvent très drôle. Et que le metteur en scène certainement a voulu mettre en relief ce côté. Alors parfois ça colle, car les mots, la syntaxe de Chateaubriand sont très drôles et parfois il en fait trop (pas Chateaubriand!) - ah ça doit être coton, je suis d'accord. Mais surtout, le gros problème c'est que Farré fait de Chateaubriand quelqu'un qui ricane de son propre humour (vous voyez ce que je veux dire?) et là je ne suis pas d'accord du tout! Ainsi Chateaubriand devient une sorte de caricature de Voltaire ricanant et amer, que je crois très loin de lui. Un vieillard somme toute satisfait de sa vie et qui dit merde aux autres en se poilant bien. (Grrrr, non!!!!)

De même en voulant sans doute montrer une "modernité" de l'écrivain, les passages choisis montrent un Chateaubriand quasi féministe...et là Maurice, il ne faut pas pousser le bouchon trop loin.

C'est donc dans ses rapports avec le pouvoir, la royauté, sa façon d'être occupé de la chose politique (je ne sais pas comment dire autrement) que la pièce d'hier soir est réussie. Mais si les plus merveilleux passages y sont (le printemps en bretagne par exemple ou l'accordéon sur le champ de bataille), il manque des montagnes de choses: le souffle, la gravité, la légereté  (complétement foiré le passage sur les femmes et aussi celui sur madame Récamier), la fantaisie, l'érudition, l'antiquité, la religion, la guillotine aussi.

Comme s'il avait été cherché à nous montrer ce qui nous lie à lui alors que pour moi ce qui est important c'est ce qui le lie lui à l'histoire. Comme s'il incarnanait lui l'histoire et finalement était porté par cette conscience, comme ça en apesanteur, sans le passé immense sur ses épaules, sans la douceur de l'amour vraiment porté aux femmes, et sans le malheur.

Ah si j'étais metteur en scène Chateaubriand écrirait (hier il farfouille, il déclame, il ricane, jamais il n'écrit), il n'y aurait pas besoin d'un divan pour évoquer Madame Récamier, il pleurerait, il serait fort et de la plus grande faiblesse, il écrirait et il écrirait. (et il ne jouerait pas d'accordéon! Seigneur, quand j'ai vu l'accordéon - là on voit tellement qu'en lisant ce passage, en le choisissant, le metteur en scène s'est dit "Putain! génial ! Alors là Farré prendrait l'accordéon et jouerait une petit flonflon", je me suis dit horreur, et en effet horreur, un peu plus il nous chantait la vie en rose. Un peu plus se ramenait Rufus (private joke pour personnes âgées).

 

Enfin comme je suis mignonne comme tout, je n'étais pas fâchée de cette soirée: quand même François René était un peu là, qui observait. (qui m'observait m'empêcher de tousser).

 

 

 

 

Commentaires

Bonjour Sophie. Je viens de passer un bon moment dans un théâtre douteux, avec un acteur que je ne connais mais que je perçois, avec des vieilles personnes sûrement un peu snobs, qui auraient été mieux au lit à soigner leur rhume, avec les "Mémoires d'Outre Tombe...en vivant ce que Chateaubriand écrit si bien, en y ajoutant un peu de leur imagination.... Ce sont mes réflexions, à moi, peu encline à aller au trhéâtre. Mais, vous Sophie, quelle merveilleuse critique vous feriez...ce doit être si drôle d'assister à toutes ces formes de théâtre à la mise en scène modeste et cafouilleuse...Vous devriez changer de métier, vous proposer auprès d'un bon journal de critiques..ou bien envoyer cette critique au

Écrit par : meregrand | 21/12/2012

il est beau sur son rocher à rêver, que fait il de ce fusil ? mon esprit réduit ne saisit pas mais peut être le relirai je
Sophie, là dans ton texte tu nous a joué une belle pièce de théâtre critique, avec tous les détails dont tu as le secret, toutes ces descriptions qui sentent le vrai, que je pense souvent, que tu oses décrire, je n'aime pas non plus ces "caresse moi le dos" parce que c'est toujours un peu cela, même les voeux des maires ou autres manifestations
Mère grand a raison, écrit des livres ou des éditos vraiment cinglants et véridiques...je déraisonne encore,
joyeuses fêtes Sophie

Écrit par : jos | 21/12/2012

Tu devrais te faire embaucher à l'émission "le masque et la plume", quel style ! On sent que le spectacle ne t'a pas plu, mais quand même un peu, puisque tu y as quand même retrouvé ton cher François-René.

Je ne suis pas souvent allée au théâtre dans ma vie, deux ou trois fois dans ma ville, mais ce qu'ils propose ne me plait pas souvent, et deux fois (merveille) ) à la comédie française, avec un collègue qui avait eu la gentillesse de me prendre des places. La première fois c'était "le dialogue des Carmélites", c'était magnifique, et la seconde fois "Le bourgeois gentilhomme", la belle version avec les chants et les ballets, c'était magique.

Écrit par : Julie des Hauts | 21/12/2012

Bon, ce qu'ils proposent !!!!!!!

Écrit par : Julie des Hauts | 21/12/2012

Ah!Ah! Rufus!

Écrit par : Marie | 21/12/2012

- Mèregrand: "un théâtre douteux"?!!!non, non, c'est une nouvelle grande salle magnifique quoique très "froide"où c'est gâchis que ne se jouent pas tous les soirs mille choses qui pourraient l'être
- Jos: en effet que fait-il avec ce fusil?!
- Julie: mais puisque tu vas parfois à Paris, tu pourrais y retourner?
- Marie:merci, je me sens moins seule!!!

Écrit par : Sophie | 22/12/2012

Oui, je pourrais retourner à Paris, d'ailleurs j'y vais de temps en temps puisque mon fils y vit maintenant, mais aller seule au théatre, c'est compliqué, et couteux. Il faut prendre le train, et je n'ai plus aucun contact avec cet ex-collègue qui faisait partie de la société des amis de la Comédie française, ce qui fait que c'est plus difficile pour moi, en plus, ma santé m'interdit pratiquement de vivre des journées aussi fatigantes.

Écrit par : Julie des Hauts | 22/12/2012

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